sexta-feira, 19 de outubro de 2018

Debussy

"Claude Debussy, musicien français": les années de guerre d'un compositeur

(Bénédicte Percheron)

«Avec ou sans patriotisme, la guerre c'est du désordre accumulé. J'ai horreur du désordre, donc: je n'aime pas la guerre. [...].» C'est par cette réflexion adressée à André Caplet que Debussy dévoile ses sentiments sur les douloureux événements qui secouent l'Europe au milieu de l'année 1914. Patriote, il l'est pourtant dès les premiers jours de la guerre dans ses propos, mais aussi dans sa composition. Quant au désordre, cette irruption de l'imprévu dans son quotidien, il en subit les lourdes conséquences à plusieurs titres: la guerre le pousse hors de chez lui, bouleverse sa vie sociale et musicale, lui arrache des êtres chers, etc. Plusieurs soucis de santé provoquent dès cette période un ralentissement de sa production artistique, jusqu'à ce qu'un désordre plus intime et plus handicapant, un cancer, finisse par l'emporter en 1918.

Sur le plan artistique européen, l'avènement de la Première Guerre mondiale réveille et affirme des antagonismes culturels préexistants. Les oppositions entre écoles nationales musicales ne sont cependant pas spécifiques au XXe siècle; les célèbres querelles du XVIIIe siècle avaient déjà souligné une volonté de «nationaliser» des esthétiques musicales. Dès le début du conflit, des deux côtés du Rhin, la culture de l'ennemi est dévaluée et rejetée. Pourtant dans le domaine musical, la musique allemande, notamment l'écriture wagnérienne, a fortement imprégné la composition française du XIXe siècle. La musique française de la Belle Époque s'est bien souvent inscrite dans une démarche post-wagnérienne, soit par filiation, soit par rejet. Claude Debussy a eu la particularité de se positionner tour à tour dans ces deux perspectives. Au début du siècle, il se détache de la composition allemande pour s'aventurer dans d'autres esthétiques, en empruntant, entre autres, à des harmonies extraeuropéennes. Avec l'avènement de la guerre, Debussy s'adonne à un fervent nationalisme qui se traduit aussi bien par des propos perceptibles dans sa correspondance, que par des compositions musicales. Mais en quoi cette forme de nationalisme contribue-t-elle à redéfinir son écriture?

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Avant la mobilisation générale du 1er août 1914, Debussy souffre de problèmes de santé qui l'empêchent pendant trois mois de travailler. Il s'est blessé un doigt dans une porte de train, souffre d'un zona et commence à ressentir les manifestations d'un cancer du rectum. Il prend ainsi du retard dans ses commandes musicales et accumule les dettes. Dès l'annonce de la guerre, Debussy éprouve une forte anxiété face à l'actualité. Le 3 août, à son éditeur, Jacques Durand, il précise son état d'esprit et évoque les «jours d'affolement» qui le plongent dans une profonde angoisse. Debussy, âgé de 52 ans, ne risque pourtant pas la mobilisation générale, l'âge limite des réservistes étant fixé à 48 ans. Il regrette cependant de ne pouvoir participer physiquement à la défense du pays et arrive presque «à envier Satie qui va s'occuper sérieusement de défendre Paris en qualité de caporal». Mais il avoue à J. Durand son «manque de sang-froid» et d' «esprit militaire». Son inquiétude se porte principalement sur le gendre de son épouse, Raoul Bardac, et sur le mari de Dolly, la soeur de ce même Raoul Bardac, tous deux mobilisés.

Fin août, devant la poussée des Allemands, le gouvernement quitte Paris pour Bordeaux. Les Parisiens s'inquiètent et beaucoup prennent le chemin de l'exil. C'est le cas de la famille Debussy qui obtient un sauf-conduit pour Angers le 4 septembre. Le voyage en train est pénible, mais durant les heures que Debussy passe confiné dans un wagon, il «couvre le document fourni par les chemins de fer» d'annotations musicales qui préfigurent ses Etudes pour les notes répétées, éditées en juin 1916 au sein de ses Douze Etudes pour piano. Le séjour à Angers dure un mois pendant lequel Debussy lit la presse et regrette la capitale. Rentré à Paris au début de l'automne, il accepte de réviser les oeuvres de Chopin pour les éditions Durand. Ce travail lui plaît, car il lui permet de retravailler dans un contexte qui le perturbe significativement et avec une santé déjà très détériorée. Le compositeur n'arrive pas à créer sereinement alors que la guerre a déjà provoqué de nombreux décès. Il se refuse de même à rire et abandonne la composition de son oeuvre initialement intitulée Le Palais du Silence. Il explique ainsi à Jacques Durand qu'il ne souhaite pas que l'on joue cette musique «avant que le sort de la France ne soit décidé, car elle ne peut ni rire, ni pleurer, pendant que tant des nôtres se font casser héroïquement la figure!»

En décembre, il daigne enfin se remettre à la composition, mais uniquement pour se livrer à une sorte d'effort de guerre: l'écriture d'une Berceuse Héroïque «pour rendre hommage à S.M. le roi Albert 1er de Belgique et à ses soldats». L'oeuvre existe tout d'abord pour piano, puis pour orchestre, en décembre 1914. Debussy s'est en quelque sorte résigné à écrire cette oeuvre sur la demande du Daily Telegraph. Le journal anglais s'était en effet attelé, sur l'initiative du romancier britannique Hall Caine, à publier un ouvrage en trois langues (anglais, français et néerlandais), regroupant des contributions de personnalités artistiques, politiques et philosophiques visant à rendre hommage au roi des Belges, Albert Ier, et à ses soldats, pour leur comportement héroïque pendant les premiers jours du conflit. Debussy n'a, malgré tout, pas composé une oeuvre guerrière. Bien au contraire, c'est une oeuvre sombre et inquiète. Les appels de trompette évoquent les combats et introduisent sa seule concession au patriotisme, une citation de l'hymne national belge, La Branbançonne. Mais le compositeur a avoué avoir eu des difficultés à écrire cette pièce, car, selon lui, «la Brabançonne ne verse aucun héroïsme dans le coeur de ceux qui n'ont pas été élevés «avec»».

Dès cette période, Debussy s'attriste de voir la montée d'une certaine forme d'utilitarisme musical. La lecture de sa correspondance montre qu'il souffre particulièrement de dépression au tournant de l'année 1914-1915. Les événements, cumulés à la mort de sa mère, Victorine, décédée en mars 1915, lui font oublier la musique, voir la rejeter. En décembre, il confie à son ami, Tony Guéritte, les conséquences de la guerre sur sa vie. Il évoque ainsi une incapacité à travailler et précise: «Pour la musique, j'avoue avoir été des mois à ne plus savoir ce que c'était; le son familier du piano m'était devenu odieux [...]».

Quelques jours après la mort de sa mère, la famille Debussy est cette fois-ci confrontée au décès de la mère d'Emma, la seconde épouse du compositeur. Il reprend des activités musicales officiellement dès le mois d'avril. Malgré son dédain pour la musique allemande, en avril 1915, il accepte de réviser des oeuvres de Jean-Sébastien Bach pour les éditions Durand. Bien qu'Allemand, le compositeur trouve encore grâce aux yeux de Debussy. Toutefois, lors de l'achèvement des sonates pour violon et piano, en avril 1917, il précise à Durand que ce travail pour lui a été «décevant», voire ennuyeux. Il a ainsi révisé «quelques centaines de pages où il faut se promener entre haie de mesures sans joie, qui défilent sans pitié, avec toujours le même petit coquin de «sujet» et de «contre-sujet»». Bien que Bach soit reconnu comme un maître universel de la musique, Debussy n'arrive pas à contenir son nationalisme et son rejet de la culture allemande. Dès le mois d'août 1914, sa correspondance est marquée par ce nationalisme, qui jalonne non seulement la pensée et les actes du compositeur, mais aussi son travail.

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Dès le mois d'août 1914, Debussy exprime dans une lettre adressée à Inghelbrecht une forme de dédain pour la musique contemporaine allemande. Il clôture ainsi son courrier par un postscriptum hautement acerbe:

P.S. En 70, ils avaient Richard Wagner.
En 1914, ils n'ont plus que Richard Strauss.


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Au début de la guerre, il sombre dans un anti-germanisme violent qui se traduit par des paroles haineuses. En août il énonce:

Depuis que l'on a nettoyé Paris de tous ses métèques, soit en les fusillant, soit en les expulsant, c'est immédiatement devenu un endroit charmant. Et l'on [n'] y rencontre vraiment plus que le minium de mufles! [...].

Debussy exagère les faits, car il n'y a pas eu d'exécution à cette période, mais sa haine de l'ennemi se traduit bien souvent par des envies de meurtre, d'autant plus que celles-ci ne peuvent être qu'inassouvies puisqu'il ne peut participer physiquement à la guerre.

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En mars 1915, il fait publier un article dans L'Intransigeant intitulé «Enfin, seuls»! En quelques lignes, il résume sa pensée des années de guerre. Il déclare ainsi: «Depuis Rameau, nous n'avons plus de tradition nettement française... Nous avons adopté les procédés d'écriture les plus contraires à notre esprit... et nous étions à la veille de signer des naturalisations bien plus suspectes encore lorsque le canon demanda brusquement la parole!».

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Au début du mois de juillet 1915, Debussy quitte Paris et part en villégiature sur la côte normande, à Pourville, où il séjourne dans une villa prêtée par un ami. Il peut enfin se remettre à l'écriture musicale. Il y débute la composition d'En Blanc et Noir, une pièce pour deux pianos en trois mouvements, qu'il achève le 20 juillet. La première audition a lieu en janvier 1916 chez la princesse de Polignac. Le second mouvement est dédicacé à Jacques Charlot, le neveu de l'éditeur Durand, décédé sur le front le 3 mars 1915. Une fanfare évoque le lieutenant mort sur le champ de bataille. Pour symboliser l'Allemagne, Debussy place un choral luthérien, Ein feste Burg, qui finit cependant pas être supplanté par une mélodie à la française, simple et claire. À la sortie de la pièce En Blanc et Noir, les critiques viennent aussi du côté des Français, notamment de C. Saint-Saëns, qui y voit le pendant musical du cubisme, dont les peintres sont, selon lui, capables d'atrocité. Il n'y a ainsi pas d'union sacrée musicale. Les divisions existantes avant-guerre se poursuivent.

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Avec les Trois Sonates, écrites entre 1915 et 1917, Debussy propose des compositions dans le style qu'il qualifie de «français». Son dessein initial était d'écrire six sonates, à la manière des concerts de Rameau, mais il n'aura pas le temps d'achever son projet. Il souhaite en outre signer ce cycle du nom de «Claude Debussy: musicien français». Il écrit très rapidement la première sonate pour violoncelle et piano, puisqu'il la compose en juillet et août 1915, et la présente à son éditeur comme un hommage «à cette jeunesse de France fauchée stupidement par ces marchands de Kultur».

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En décembre 1915, il écrit une courte oeuvre pour piano, Elégie, et son chant intitulé le Noël des enfants qui n'ont plus de maison. L'oeuvre remporte un franc succès et est jouée plusieurs fois pendant la guerre, mais Debussy a conscience qu'elle peut paraître racoleuse. A Paul Dukas, il confie:

Vous voyez ça d'ici: la maman est morte, Papa est à la guerre; nous n'avons plus de petits sabots; nous aimons mieux du pain que des joujoux; et pour conclure: «La victoire aux enfants de France». Ça n'est pas plus malin que ça! Seulement, ça entre tout droit dans le coeur des citadins.

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À la fin de l'année 1915, il est officiellement diagnostiqué comme souffrant d'un cancer du rectum. Il doit alors subir une intervention chirurgicale qui le force à s'aliter pendant de longues semaines. Son activité artistique est ainsi conséquemment réduite au cours de l'année 1916. Il est en plus attaqué judiciairement par son ancienne épouse, Lilly Texier, qui lui réclame la pension qu'il ne verse plus depuis 6 ans. En septembre et octobre 1916, la famille Debussy se rend en villégiature, au Moulleau, près d'Arcachon.

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Après cette dernière oeuvre qui connaît toujours un franc succès chez les musiciens, il n'écrit que deux petits opus: une courte pièce pour piano, en février-mars 1917, Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon sur un texte de Baudelaire et une composition vocale, Ode à la France, sur un texte de Louis Laloy, qui reste inachevée. Il donne ses deux derniers concerts à Biarritz en septembre 1917. Il est par la suite trop affaibli pour continuer son activité artistique et décède le 25 mars 1918. Enterré tout d'abord dans un caveau provisoire du Père Lachaise, il est ensuite déplacé au cimetière de Passy. Au revers de sa stèle funéraire figure l'épitaphe: «Claude Debussy, musicien français».


Fonte:
http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01403762/document

Mais:
http://en.wikipedia.org/wiki/Claude_Debussy#Death
http://docs.google.com/file/d/1ux4LJwx7EI26k1ipRBCem-j3Lx6kOfL3
http://docs.google.com/file/d/0BxwrrqPyqsnIRHByWXdqcXNiaXc (IMDb)
http://www.youtube.com/watch?v=CvFH_6DNRCY